Quelques grammes de justice dans un monde abrupt ...
le 06 juillet 2009 / Monique Ben Soussen, avocat à la Cour
... Voilà le message qui ressort d'une ordonnance rendue le 16 juin 2009 par Madame le Président du Tribunal de commerce de CRETEIL. En l'espèce, le locataire gérant franchisé d'un supermarché ED s'était vu expulser du magasin qu'il exploitait dans des conditions particulièrement déloyales. A la suite d'un incident de paiement, le franchiseur avait en effet convoqué son partenaire à un rendez‑vous afin, théoriquement, de discuter et d'aplanir les difficultés rencontrées. Concomitamment, le même franchiseur dépêchait toutefois un serrurier sur les lieux d'exploitation afin de changer les serrures. En somme, le locataire gérant était ainsi expulsé quasiment manu militari. Certes, le franchiseur l'avait préalablement mis en demeure d'avoir à respecter plusieurs de ses obligations contractuelles relatives aux délais de paiement d'une part, à la remise de ses informations comptables d'autre part. Certes, ladite mise en demeure se prévalait d'une clause résolutoire dont il résultait qu'à défaut d'exécution dans les 15 jours, l'ensemble des contrats liant les partenaires seraient résiliés de plein droit. L'expulsion avait toutefois eu lieu avant que ce délai ne fût expiré. En tout état de cause, une clause résolutoire ne saurait jamais être acquise si elle est mise en œuvre de mauvaise foi. Dans ces conditions, le franchisé injustement évincé n'avait d'autre choix que de faire diligenter un référé d'heure à heure afin de recouvrer la jouissance du magasin.
Courageusement, Madame le Président du Tribunal de commerce de Créteil accéda à cette demande. Les motifs de l'ordonnance sont du reste extrêmement clairs : « Nous dirons, ainsi, que pour qu'une clause résolutoire de plein droit soit applicable, encore faut‑il qu'elle ait été mise en œuvre de bonne foi; qu'en l'espèce, les circonstances entourant sa mise en œuvre sont critiquables: délai de mise en demeure non respecté et fermeture du magasin, à l 'insu du locataire gérant, avant la fin dudit délai ; que dans ces conditions la clause résolutoire ne saurait être acquise. Par conséquent, constatant le trouble manifestement illicite, et afin de préserver les intérêts de chacune des parties, nous ordonnerons le maintien de tous les contrats jusqu'à la solution au fond du litige. Nous condamnerons les parties défenderesses à remettre à disposition [du franchisé] le magasin exploité par cette dernière, sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard... ».
Cette solution est parfaitement justifiée. Il est en effet de jurisprudence constante qu'une clause résolutoire ne saurait produire aucun effet lorsqu'elle est invoquée de mauvaise foi (V. par ex. Civ. 3, 15 décembre 1976 ; Civ. 1, 7 février 2006). Par ailleurs, le juge des référés peut toujours ordonner le maintien d'un contrat régulièrement dénoncé, à condition de fixer un terme certain à la mesure prononcée (Cass. Civ. 1, 7 novembre 2000). A fortiori en va‑t‑il ainsi lorsque le contrat n'a pas été régulièrement dénoncé...
Se trouve en tous les cas confirmé ici le rôle fondamental du juge des référés, rempart contre toute forme de voie de fait.
TRIBUNAL DE COMMERCE DE CRETEIL
rendue le 16 Juin 2009
par Mme Brigitte GAMBIER, Juge
assisté de Mme Corinne BLANCHARD, Greffier
EURL REALDIS 1 rue de Savoie 93330 NEUILLY SUR MARNE comparant par Me Monique BEN SOUSSEN 9 rue Scribe 75009 PARIS
STE SAS ED 120 rue Du Gal Malleret Joinville 94400 VITRY SUR SEINE comparant par Me SAINT GENIEST du Cabinet RAMBAUD MARTEL 31 av Pierre 1er de Serbie 75782 PARIS CEDEX 16
SAS ED FRANCHISE 120 Rue Du Gal Malleret 94400 VITRY SUR SEINE comparant par Me SAINT GENIEST du Cabinet RAMBAUD MARTEL
Débats à l'audience publique du 16 Juin 2009, devant Mme Brigitte GAMBIER, Juge ayant délégation de Monsieur le Président du Tribunal, assisté de Mme Corinne BLANCHARD, Greffier
Décision contradictoire et en premier ressort
Par assignation d'heure à heure, en date du 12 Juin 2009, autorisée par ordonnance sur requête du Président de ce Tribunal en date du 12 juin 2009, l'EURL REALDIS, locataire gérant de la STE SAS ED, qui ne peut plus accéder à son fonds depuis le 11 juin 2009 en raison du changement de serrures opéré par la société ED, nous demande de
‑ dire que les contrats de franchise, de location‑gérance et d'approvisionnement liant l'EURL REALDIS et les sociétés ED et ED FRANCHISE sont maintenues jusqu'à leur terme,
‑ condamner en conséquence, les sociétés ED et ED FRANCHISE à mettre à disposition de l'EURL REALDIS le magasin exploité par cette ‑dernière, sis 22 rue de Concy 91230 MONTGERON et ce sous astreinte définitive de 30.000,00€ par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir,
‑ ordonner la publication de l'ordonnance portant condamnation des sociétés ED dans le magazine LSA,
‑ condamner in solidum les parties défenderesses à lui verser 3.000,00E au titre de l'article 700 du CPC,
Par conclusions déposées à l'audience de ce jour, la STE SAS ED, propriétaire du fonds et fournisseur de la société REALDIS, et la SAS ED FRANCHISE, franchisseur de la société REALDIS, nous demandent de
‑ constater que la société REALDIS refuse d'exécuter ses obligations conctractuelles ; que les contrats de franchise, de location‑gérance, d'approvisionnement et de système informatique sont résiliés de plein droit et que la clause résolutoire, contenue à l'article 6 du protocole du 16 avril 2009, est acquise,
En conséquence, dire qu'il n'y a pas lieu à référé, en l'absence de trouble manifestement illicite,
Reconventionnellement, ‑ prononcer l'expulsion de la société REALDIS des locaux,
‑ ordonner la remise des clés des coffres présents dans le magasin, ainsi que de toutes autres biens leur appartenant,
‑ condamner la société REALDIS à payer à la STE SAS ED 228.812,61€ correspondant au total des sommes dues au titre du contrat d'approvisionnemnet, et à la SAS ED FRANCHISE 2.061,03E, correspondant au total des sommes dues au titre du contrat de franchise, outre la Somme de 150.000,00€ en application de l'article 30‑3 du contrat de franchise,
‑ condamner la société REALDIS à leur payer à chacune 2.000,00€ au titre de l'article 700 du CPC ainsi que les entiers dépens.
La partie demanderesse indique que la STE SAS ED se fonde sur un incident de paiement de quelques jours pour procéder, brutalement, à la résiliation de l'ensemble des conventions les liant entre elles, qui avaient été conclues pour une durée de 5 ans ; indiquant qu'un précédent incident de décembre 2008 a été réglé par un protocole transactionnel en date du 16 avril 2009.
La société REALDIS ajoute que les manœuvres employées pour parvenir à la résiliation sont abusives ; la STE SAS ED lui ayant proposé un rendez‑vous dans ses locaux et ayant pendant son absence procédé au changement des serrures du magasin et à la récupération des marchandises ; que, de plus, le délai de préavis de 15 jours, prévu au protocole, n'a pas été respecté, la mise en demeure ayant été notifiée le 29 mai 2009.
Enfin, la partie demanderesse précise que son magasin est aujourd'hui fermé alors qu'elle a huit salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite,
Elle reconnaît devoir, cependant, 106.000,00€, s'engageant à apurer cette somme par versements de 10.000,00€ par décade.
La STE SAS ED réplique que la résiliation des contrats est acquise de plein droit, les parties ayant prévu dans le protocole du 16 avril 2009 une clause de déchéance en cas de non respect de ses engagements par la société REALDIS. Or, celle‑ci n'a pas respecté les échéances d'apurement de la dette et n'a pas transmis les pièces comptables visées dans le protocole.
Les parties défenderesses déclarent ne demander que la stricte application de l'article 6 du protocole et soulignent que le délai de préavis est acquis désormais ; soutenant que l'action de la partie demanderesse ne peut tendre qu'à la réparation du dommage, éventuellement subi, mais certainement pas à la réintégration des locaux d'exploitation, compte tenu de l'acquisition de la résiliation.
Les parties défenderesses sollicitent, en outre, en cas de rejet de leur demande, le renvoi de l'affaire devant 1e Tribunal selon les dispositions de l'article 873‑1 du Code de Procédure Civile.
Sur ce,
Nous constatons que les parties sont liées par plusieurs conventions interdépendantes ; que, suite à des problèmes de règlement, les parties ont signé un protocole d'accord le 16 avril 2009, dont les parties défenderesses se prévalent pour fonder leur résiliation.
Aux termes de ce protocole, les parties avaient convenu qu'en cas de non respect des engagements "l'ensemble des contrats de franchise, de location gérance et d'approvisionnement seront résiliés de plein droit, si bon semble aux sociétés ED et ED FRANCHISE, sans qu'il soit besoin d'une intervention judiciaire, mais ce à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant mise en demeure adressée à la société REALDIS."
Nous relevons, toutefois, que la mise en demeure, datée du 27 mai 2009, a été notifiée par huissier de justice le 29 mai 2009 à la société REALDIS ; que, sans attendre l'expiration du délai, la STE SAS ED a convoqué, le 11 juin 2009, la société REALDIS à une réunion en ses locaux, en vue de régler le litige ; or, parallèlement, elle envoyait sur place ses salariés afin dé changer les serrures et de reprendre le fonds; fait constaté par divers procès‑verbaux d'huissier.
La STE SAS ED soutient que la clause résolutoire est acquise et doit trouver plein application, d'autant que les manquements de la société REALDIS sont avérés en ce qui concerne l'apurement de la dette et la production des documents comptables.
La société REALDIS soutient, quant à elle, que les conditions de la résiliation ne sont pas acquises, indiquant avoir remédié aux incidents de paiement et payer désormais ses marchandises, à la commande, et ce depuis le 2 juin 2009, date du courrier aux termes duquel la STE SAS ED exige ce nouveau mode de paiement pour les prochaines livraisons.
II résulte des textes applicables en matière de référé, que le juge des Référés ne peu apprécier l'exécution des relations contractuelles entre les parties, mais peut, toutefois, prescrire les mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite.
Nous dirons, ainsi, que pour qu'une clause résolutoire de plein droit soit applicable, encore faut‑il qu'elle ait été mise en œuvre de bonne foi ; qu'en l'espèce, les circonstances entourant sa mise en œuvre sont critiquables : délai de mise en demeure non respecté et fermeture du magasin, à l'insu du locataire gérant, avant la fin dudit délai ; que dans ces conditions la clause résolutoire ne saurait être acquise.
Par conséquent, constatant le trouble manifestement illicite, et afin de préserver les intérêts de chacune des parties, nous ordonnerons le maintien de tous les contrats jusqu'à la solution au fond du litige.
Nous condamnerons les parties défenderesses à remettre à disposition de la société REALDIS le magasin exploité par cette dernière, sous astreinte de 20.000,00€ par jour de retard à compter du 1a juin 2009 à 0 heures.
Prenons acte de l'accord des parties sur un règlement des marchandises, à la commande, de la reconnaissance de dette de la société REALDIS à hauteur de 106.000,00E et de son engagement d'apurer cette somme par des versements de 10.000,00€ par décade.
Compte tenu de la demande formulée par les parties défenderesses de bénéficier des dispositions de l'article 873‑1 du Code de Procédure Civile et considérant qu'il y a urgence à statuer sur le fond, compte tenu de l'importance de leur créance et du risque allégué pour son recouvrement, nous renverrons l'affaire à (audience collégiale du 25 juin 2009 à 14 heures.
Les dépens de l'instance seront laissés à la charge des parties défenderesses et nous rejetterons toutes autres demandes, y compris celles formulées au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, compte tenu du renvoi de l'affaire au fond,
Constatons l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser,
Par conséquent,
Ordonnons le maintien de tous les contrats liant les parties jusqu'à la solution au fond du litige.
Condamnons la STE SAS ED et la SAS ED FRANCHISE à la remise à disposition du magasin exploité par la société REALDIS situé 22 rue de Concy 91230 MONTGERON, sous astreinte définitive de 20,000,00 euros par jour de retard à compter du 18 juin 2009.
Nous déclarons compétent pour liquider l'astreinte.
Prenons acte de l'accord des parties sur un règlement des marchandises, à la commande et de ce que la société REALDIS reconnaît devoir 106.000,00 suros qu'elle s'engage apurer par des versements de 10.000,00; euros par décade.
Disons que le premier versement devra intervenir le 1er juillet 2009.
Vu l'urgence,
Faisons droit à la demande des parties défenderesses bénéficier des dispositions de l'article 873‑1 du Code de procédure Civile, Renvoyons l'affaire devant le Tribunal à l'audience collégiale du 25 juin 2009 à 14 heures à laquelle les parties sont convoquées et devront se présenter.
Rejetons toutes autres demandes présentées par les parties, tant principales que reconventionnelles, y compris
celles formulées au litre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Mettons les dépens de l'instance à la charge des parties défenderesses.
Liquidons les dépens à recouvrer par le Greffe la somme de 68,33 euros dont TVA 19,60%.
Nous avons signé avec le Greffier.
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