Le point sur les comptes courants d’associés
le 30 novembre 2009
Remboursement des comptes courants d'associés
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1. II arrive souvent en pratique, notamment pour permettre à la société de faire face à des besoins de trésorerie momentanés, que les associés, au lieu de faire des apports complémentaires, consentent à la société des avances ou des prêts, soit en versant des fonds dans la caisse sociale, soit en laissant à la disposition de la société des sommes qu'ils renoncent temporairement à percevoir (rémunérations, dividendes, etc.). Alors que les véritables apports ont leur contrepartie au bilan dans le compte « capital », ces avances ou prêts sont enregistrés au passif dans un compte généralement appelé, improprement d'ailleurs, «compte courant ».
Nous faisons le point sur la jurisprudence concernant les modalités de remboursement de ces comptes courants d'associés. La question spécifique du remboursement en cas de mise en redressement ou en liquidation judiciaire de la société n'est pas abordée.
1. Droit au remboursement
Principe
2. En l'absence de clause statutaire ou de convention particulière régissant les modalités de remboursement du compte courant, l'associé peut demander à tout moment le remboursement du solde créditeur de son compte (Cass. com. 24‑6‑1997 n° 95‑20.056: RJDA 11/97 n° 1349 ; Cass. 3e civ. 3‑2‑1999 n° 97‑10.399 : RJDA 89/99 n° 936 ; CA Paris 12‑11‑1991 : RJDA 2/92 n° 155).
Ainsi, pour refuser à un associé le remboursement de son compte courant, une société ne peut pas lui opposer:
‑ une situation financière difficile (CA Paris 9‑6‑1989: D. 1989 som. p. 228 ; CA Paris 12‑11‑1991 : RJDA 2/92 n° 155 ; CA Versailles 2‑4‑1999 n° 96$453: RJDA 7/99 n° 788) ;
‑ une délibération de l'assemblée générale qui impose le blocage du compte courant de l'associé sans son consentement, à hauteur d'une certaine somme et pour une certaine durée, car une telle décision entraîne une
augmentation des engagements de l'associé (Cals. com. 24‑6‑1997 n° 95‑20.056: RJDA 11/97 n° 1349) ou une décision d'assemblée qui prévoit, sans l'accord unanime des associés, le remboursement de l'ensemble des comptes courants d'associés en 48 mensualités (CA Paris 5‑5‑1995 n° 93‑19450: Dr. sociétés 1995 comm. n° 183).
3. La société qui fait adopter des décisions par l'assemblée générale dans le seul but de faire échec à une demande de remboursement engage sa responsabilité. Une SARL a ainsi été condamnée à rembourser à un associé, également salarié de la société, l'intégralité des sommes versées sur son compte courant qu'il avait réclamées à la suite de son licenciement : alors qu'un jugement avait ordonné le remboursement de ces sommes à l'associé, l'assemblée générale avait adopté une délibération limitant le remboursement des comptes des associés afin de faire échec à cette demande (Cass. coin. 25‑1‑1982: Bull. Joly 1982 p. 266).
Le dirigeant dans l'impossibilité de rembourser le solde créditeur d'un compte courant peut même engager sa responsabilité personnelle à l'égard de l'associé.
C'est ainsi que le gérant associé d'une société civile immobilière (SCI), constituée en vue d'acquérir un bien immobilier au moyen d'un crédit‑bail, a été condamné à verser à ses coassociés des dommages‑intérêts d'un montant égal aux avances en compte courant que ceux‑ci avaient consenties à la SCI compte tenu des circonstances suivantes : seul associé dont le compte courant était débiteur, il avait assumé seul la gestion de la société pour une opération qui avait échoué (le contrat de crédit‑bail ayant été cédé avant son terme); la dissolution de la société, devenue une n coquille vide», n'avait jamais été à l'ordre du jour; les coassociés, qui étaient en droit de demander le remboursement de leur compte courant en l'absence de clause de blocage mais qui savaient que la société n'était pas en mesure de les rembourser, avaient préféré mettre en cause la responsabilité du gérant ; celui‑ci avait commis une faute en confondant la trésorerie de la SCI, celle d'autres sociétés qu'il contrôlait et son propre patrimoine, le manquement le plus significatif étant le versement à une société tierce de plus de 250 000 € provenant de la cession du contrat de crédit‑bail au prétexte qu'il se serait remboursé une créance qu'il détenait sur la SCI (CA Paris 22‑5‑2008 n° 07‑8661 : RJDA 11/08 n° 1138, 2° espèce).
4. La demande de remboursement formulée par l'associé ne doit pas être abusive. Ainsi des actionnaires majoritaires et administrateurs d'une société dissoute ont été considérés comme fautifs pour avoir demandé le remboursement de leurs comptes courants alors qu'ils savaient que la créance d'un tiers n'avait pas été prise en compte lors de la liquidation de la société; ils ont donc été condamnés à payer personnellement cette créance (CA Paris 12‑2‑1999 : RJDA 11/99 n° 1212).
Dans le même sens, en application du principe de bonne foi, a été refusé le remboursement du compte courant d'un associé qui connaissait les difficultés financières de la société (CA Versailles 3‑12‑1991: Bull. Joly 1992 p. 415 ; CA Paris 30‑5‑2008: Dr. sociétés 2008 comm. n° 243 note M: L. Coquelet). Mais si l'objectif de ces décisions est d'éviter que la demande de remboursement soit utilisée comme un moyen de pression sur la société, il n'en reste pas moins qu'elles sont contraires au principe énoncé par la Cour de cassation selon lequel la demande de remboursement peut intervenir à tout moment (n° 2 ; en ce sens M: L. Coquelet, note sous CA Paris 30‑5‑2008 précité).
Limites au droit au remboursement
5. Octroi de délais de paiement. Si la société ne peut pas refuser le remboursement d'un compte courant d'associé en raison d'une situation financière difficile (n° 2), elle peut toutefois obtenir du juge des délais de paiement sur le fondement de l'article 1244‑1 du Code civil (CA Versailles 2‑4‑1999 n° 96‑8453: RJDA 7/99 n° 788 ; CA Montpellier 16‑12‑2008 n° 07‑7912 : Dr. sociétés 2009 comm. n° 87).
Ces délais doivent être proportionnés aux difficultés rencontrées par la société. En effet, c'est au regard de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier que le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues (C. civ. art. 1244‑1).
Par exemple, un échelonnement des paiements sur deux ans a été jugé justifié ‑mais pas un report de paiement à deux ans dans un cas où la situation financière fragile de la société, qui exploitait un débit de boissons, était susceptible de s'améliorer en raison d'un projet d'aménagement d'une zone commerciale à proximité (CA Montpellier 16‑12‑2008 n° 07‑7912 précité).
6. Jeu de la compensation légale. L'associé prêteur qui a, par ailleurs, une dette envers la société risque de ne pas pouvoir obtenir le remboursement de tout ou partie du solde créditeur de son compte. En effet, par le jeu de la compensation légale (C. civ. art. 1289 s.), 1e solde créditeur du compte courant de l'associé et la dette dont il est redevable envers la société s'éteignent réciproquement et de plein droit. Encore faut‑il, pour qu'une telle compensation s'opère, que les dettes soient certaines, liquides et exigibles (C. civ. art. 1291). Tel n'est pas le cas lorsque la société s'oppose au remboursement du solde d'un compte courant d'associé en invoquant une compensation avec
‑ une créance de dommages‑intérêts à l'encontre de l'associé, ancien dirigeant, qui aurait engagé sa responsabilité en commettant des fautes de gestion, dès lors que cette créance n'existe pas (CA Paris 22‑62001 n° 00‑21262 : RTD coin. 2001 p. 908) ou n'est qu'éventuelle (CA Grenoble 29‑3‑2006 n° 04‑3062: JCP G 2006 IV n° 2142) ;
‑ des pertes auxquelles l'associé serait tenu de participer proportionnellement au nombre de ses parts dans la société, si ces pertes sociales n'ont pas été constatées et ne sont donc pas certaines (CA Paris 19‑9‑2007 n" 07‑3177 : RJDA 2,/08 n° 135).
7. Extinction de la créance. La créance de remboursement peut s'éteindre par prescription. En effet, tant en matière civile que commerciale, l'action tendant au remboursement d'un compte courant d'associé se prescrit par cinq ans à compter du jour où l'associé a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (ci. C. civ. art. 2224 ; C. com. art. L 110‑4, 1).
8. Aménagements conventionnels. Fréquemment, les conditions de remboursement des avances consenties en compte courant sont précisées dans les statuts ou dans une convention passée entre l'associé prêteur et la société. Elles peuvent également être décidées en assemblée: si la mesure envisagée entraîne une augmentation des engagements des associés, elle ne pourra être adoptée qu'avec l'accord unanime des associés. Tel est le cas d'une décision de blocage des sommes déposées par les associés en compte courant (Cass. com. 24‑6‑1997 n° 95‑20.056: RJDA 11/97 n° 1349 ; CA Versailles 20‑9‑1996 : RJDA 1/97 n° 67).
Plusieurs types de clauses aménageant le droit au remboursement de l'associé prêteur peuvent être envisagés. A titre d'exemple, on peut citer
‑ la clause stipulant que le remboursement ne pourra pas intervenir avant un terme prévu par les parties, certain ou incertain (clause dite de blocage) ; dans la pratique, lorsqu'une banque accorde un prêt à une société, elle exige le plus souvent le blocage des comptes courants d'associés, lesquels doivent ainsi s'engager à ne pas retirer les sommes inscrites à leur compte pendant toute la durée du prêt;
Le départ de l'associé n'a pas de conséquence sur la durée du blocage prévue: dans un cas où il était convenu que les sommes déposées sur le compte courant étaient à la disposition de la société pendant cinq ans, il a été jugé que le départ de l'intéressé avant le terme des cinq ans n'entraînait pas l'exigibilité immédiate des sommes bloquées (Cals. soc. 25‑51977 : Bull. civ. V no 343, rendu à propos d'un salarié mais transposable). En revanche, une SARL a été condamnée à rembourser les sommes déposées sur le compte courant d'un associé qui avait cédé ses parts car le délai d'un an prévu par les statuts pendant lequel le remboursement des sommes ne pouvait pas être demandé était largement écoulé (CA Paris 2‑fi‑1992: RJDA 11/92 no 1028).
‑ la clause subordonnant le retrait des fonds au respect d'un délai de préavis permettant à la société de trouver la somme nécessaire;
‑ la clause par laquelle l'associé prêteur s'engage à ne pas demander le remboursement de sa créance tant qu'un autre créancier n'aura pas été totalement désintéressé;
‑ la clause prévoyant, dans une société en nom collectif où les associés sont personnellement tenus au passif social, que les pertes sociales seront annuellement inscrites, pour le montant de leur quote‑part, sur le compte courant des associés, de telle sorte que les pertes auxquelles l'associé doit contribuer se compensent, partiellement ou en totalité, avec la créance en compte courant (Cass. com. 30‑11‑2004 n° 01‑12.063: RJDA 3/05 n° 262 ; dans le même sens, Cass. com. 22‑2‑2005 no 02‑13.304: Bull. civ. IV no 36, rendu à propos d'une société en participation) ; notons que la compensation ne pourra s'effectuer que si les pertes sociales sont certaines (n° 6).
9. En tout état de cause, lorsqu'une clause soumet le remboursement du compte à certaines conditions, celles‑ci ne doivent pas être purement potestatives, c'est‑à‑dire qu'elles ne doivent pas faire dépendre le remboursement de la seule décision de la société. Ont ainsi été jugées valables la clause soumettant le remboursement à la condition que la trésorerie de la société le permette dès lors qu'elle ne dépend pas exclusivement de la décision du conseil d'administration (Cass. com. 9‑10‑2007 n° 06‑19.060: RJDA 1/08 n° 41 ; dans le même sens, Cass. com. 14‑2‑2006 n° 04‑14.854: RJDA 6/O6 n° 649) et la décision de transformer les comptes courants en avances dont le remboursement est subordonné à la reconstitution des fonds propres de la société à un certain niveau (CA Paris 12‑12‑2007 no 05‑15941 : RJDA 5/08 n° 526).
A l'inverse, est purement potestative la clause prévoyant que les conditions de retrait des avances en compte sont fixées par le gérant (CA Versailles 241999 n° 96‑8453 : RJDA 7/99 no 788) ou encore celle subordonnant le remboursement des avances à la décision de la gérance de vendre un actif social.
II. Titulaire de la demande de remboursement
10. Seul l'associé prêteur a, en principe, qualité pour demander à la société le remboursement des sommes figurant sur son compte courant. Il en résulte notamment que ne sont pas habilités à effectuer une telle demande:
‑ le conjoint de l'associé prêteur (n° 11) ;
‑ l'acquéreur des parts ou actions de l'associé prêteur (nos 12 s.).
Cas de l'associé prêteur marié sous le régime de la communauté
11. Lorsqu'un époux marié sous le régime de la communauté est associé d'une société à qui il a consenti une avance en compte courant, il a seul qualité pour demander le remboursement du compte à la société. Son conjoint non associé ne le peut pas (CA Versailles 19‑5‑2009 n° 08‑2134 ;‑CZJDA 8‑9/U9.: t1° 744).
La cour d'appel de Versailles s'est fondée sur l'argumentation suivante : un compte courant constitue Une avance faite par un associé qui lui confère un droit de créance sur la société, et le conjoint n'avait jamais revendiqué la qualité d'associé; l'époux associé avait seul la qualité de cocontractant de la société s'agissant des fonds déposés le bilan établissant que le compte était ouvert à son seul nom ; le fait que ce compte fasse partie de l'actif de communauté n'avait pas pour effet de conférer au conjoint la qualité de partie au contrat de prêt conclu entre l'époux associé et la société.
Toutefois, le fait que le compte fasse partie de l'actif de la communauté donne au conjoint non associé un droit de créance sur ces fonds : au terme du mariage, ils devront être compris dans la masse à partager entre les ex‑époux à l'issue des opérations de liquidation.
Cas de la cession de ses parts ou actions par l'associé prêteur
12. La cession des parts sociales ou actions n'emporte pas transfert de plein droit à l'acquéreur du compte courant d'associé du cédant (Cass. req. 11‑1‑1932: Rev. sociétés 1932 p. 204 ; CA Paris 16‑11‑1984 : Bull. Joly 1985 p. 315 ; CA Aix 15‑1‑1988: Bull. Cour d'Aix 1988/1 p. 75 ; CA Paris 2‑6‑1992 : RJDA 11/92 n° 1028 ; CA Versailles 25‑9‑2007 n° 06‑6222: RJDA 2/08 n° 149).
En effet, le compte courant d'associé ne résulte pas de la possession des parts sociales ou actions mais trouve son origine dans le prêt fait à la société, lequel confère à l'associé la qualité dé créancier social, distincte de celle d'associé (CA Paris 2‑6‑1992 précité).
Par conséquent, dès lors que l'acte de cession ne prévoit pas la cession du compte courant, le cédant est fondé à demander le remboursement des fonds détenus à son nom à tout moment après la cession (CA Versailles 25‑9‑2007 n° 06‑6222 précité).
13. Rien n'interdit évidemment aux parties à la cession de prévoir, par une disposition expresse de l'acte de cession, que le compte courant du cédant sera transféré à l'acquéreur avec les parts sociales ou actions (en ce sens, CA Paris 2‑6‑1992 : RJDA 11/92 n° 1028 et CA Versailles 25‑9‑2007 n° 06‑6222 : RJDA 2/08 n° 149). Mais la clause prévoyant le transfert du compte doit être précise: il a ainsi été jugé qu'une clause prévoyant que l'acquéreur est i< subrogé dans tous les droits et obligations du cédant» n'emporte pas transfert du compte courant à l'acquéreur, à défaut de mention expresse relative à ce compte (Cass. com. 30‑11‑2004 n° 0112.063 : RJDA 3/05 n° 262).