Vers une déontologie dans le monde impitoyable de la distribution
le 22 août 2005 / Monique Ben Soussen, avocat à la cour
Des entreprises qui payent pour être reçues, référencées, bien positionnées dans les rayons, des agriculteurs qui vendent en dessous de leurs coûts de revient, des commerçants de proximité ou spécialisés assommés de charges et privés, eux, de toute "marge arrière": les dysfonctionnements de la libre concurrence dans la distribution sont de plus en plus souvent dénoncés publiquement. La loi portant sur les nouvelles régulations économiques adoptée à l'Assemblée le 2 mai dernier veut s'attaquer à ces pratiques commerciales abusives répandues dans le monde impitoyable de la distribution où les fournisseurs sont bien souvent, à la merci totale des gros distributeurs qui monopolisent l'accès au consommateur.
1 - Vers l'élaboration d'une "déontologie" de la distribution
Une Commission d'examen des pratiques commerciales et des relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs est créée. Elle a pour mission de donner des avis ou formuler des recommandations sur les questions, les documents commerciaux ou publicitaires, y compris les factures et contrats couverts par un secret industriel et commercial, et les pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs, revendeurs qui lui sont soumis.
C'est une véritable déontologie de la distribution qu'elle va pouvoir ainsi élaborer. Cette commission pourra être saisie par le ministre chargé de l'économie, le ministre chargé du secteur économique concerné, le président du Conseil de la concurrence, toute personne morale, notamment les organisations professionnelles ou syndicales, les associations de consommateurs agréées, les chambres consulaires ou d'agriculture, ainsi que par tout producteur, fournisseur, revendeur s'estimant lésé par une pratique commerciale. Elle pourra également se saisir d'office.
Enfin, la commission exercera un rôle d'observatoire régulier des pratiques commerciales, des facturations et des contrats conclus entre producteurs, fournisseurs, revendeurs qui lui seront soumis. Chaque année, elle adoptera un rapport d'activité qui sera rendu public.
2 - De nouvelles pratiques abusives mises à l'index
La nouvelle loi crée, à l'article L.442-6 du code de commerce sur les pratiques restrictives de concurrence, la notion d'avantage discriminatoire, c'est-à-dire obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.
Le texte précise qu'un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat.
De même, engagera la responsabilité de son auteur le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées.
Enfin, seront considérés comme nuls les clauses ou contrats prévoyant sans contrepartie pour un producteur, un commerçant, un industriel ou un artisan, la possibilité de bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale, d'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande ou d'interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu'il détient sur lui.
Le déréférencement partiel ou total, utilisé comme menace ou sanction, sera également susceptible d'entraîner la mise en cause de la responsabilité civile du distributeur. Ce texte élargit également l'action du Ministre chargé du secteur économique concerné devant les juridictions de l'ordre judiciaire, en lui permettant de demander la nullité des clauses illicites et la réparation du préjudice subi, alors que le Ministre n'avait jusqu'ici que la possibilité de demander la cessation des pratiques abusives.
La multiplication des pratiques abusives a permis à une poignée de grands groupes de prospérer en s'appropriant l'ensemble de la distribution commerciale, au détriment des droits fondamentaux et de la libre concurrence.
Puissions-nous, grâce à la loi et à la sanction jurisprudentielle à venir, rétablir l'esprit de partenariat en libre concurrence, dont la devise n'est certainement pas "tu payes ou tu meurs" mais "tu gagnes et je gagne".
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