Réforme du droit des contrats : A vos marques !

le 19 septembre 2016 / Monique Ben Soussen

Accaparés par des sujets plus racoleurs, les médias n’en ont pratiquement pas parlé. Et pourtant la nouvelle est de taille : à partir du 1er octobre 2016, le droit des contrats fait peau neuve. Des centaines d’articles du Code civil de 1804 changent. Et tout le monde est concerné ! L’ordonnance du 10 février 2016 porte en effet réforme du droit des contrats et de la preuve des obligations. C’est donc l’un des piliers essentiels de tous les rapports sociaux qui se trouve modifié. Pas de bouleversement fondamental, certes. Les contrats auront toujours force obligatoire (C. civ., art. 1103) ; ils devront toujours être exécutés de bonne foi (C. civ., art. 1104). Mais tout de même ! Il ne faut pas passer sous silence d’importantes nouveautés ! Certaines intéressent tout particulièrement les commerçants : ce sont celles qui retiendront notre attention ici.
 
Quelles nouveautés donc ? Eh bien allons dans l’ordre.
 
Sur la conclusion des contrats: 
 
Prenez d’abord la phase de conclusion d’un contrat. Peu importe lequel : tous les contrats d’affaires sont concernés puisque l’ordonnance du 10 février concerne le droit commun à tous les contrats. Lisez maintenant le futur article 1112-1 du Code civil. C’est la consécration d’une obligation générale d’information imposant à la partie qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre de l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Puisque la confiance est le ciment des affaires, l’article est potentiellement très intéressant. Prenez par exemple un contrat de franchise. Telle personne veut se lancer dans les affaires mais souhaite intégrer un réseau pour ce faire. En l’état actuel des choses, le franchiseur n’est tenu de remettre à cette information qu’une série d’informations limitativement prévues par le Code de commerce. Parmi ces informations, ne figurent pourtant pas certaines données essentielles d’un partenariat. Exemple : en l’état actuel des choses, le franchiseur n’est pas tenu de révéler la teneur des accords qu’il a conclus avec les fournisseurs référencés du réseau alors même que les remises, rabais et ristournes obtenus de ces derniers devraient normalement être répercutés au profit des franchisés. Plus de transparence dans les négociations : voilà le résultat auquel pourrait aboutir la réforme.
Autre exemple, qui tend cette fois à renforcer la force obligatoire des promesses de contrat. Plus précisément, des promesses de vente. Imaginez deux personnes. Elles se mettent d’accord sur la promesse de cession d’un fonds de commerce, d’un fonds artisanal, d’un fonds libéral ou même d’un fonds agricole. Disons que l’une s’engage à réserver à l’autre un délai pour décider d’acquérir ou non ledit fonds. Une promesse unilatérale donc. Aujourd’hui, si le promettant se ravise, s’il décide de céder son fonds à un tiers, le plus souvent parce que ce tiers lui en offre plus bien sûr, la jurisprudence ne le condamne qu’à des dommages et intérêts. De sorte qu’il peut faire ses calculs et se dire que son éventuelle condamnation à des dommages et intérêts, dont le montant est fixé dans la promesse, sera toujours plus faible que le profit engrangé auprès du tiers. Demain, l’article 1124 du Code civil empêchera cette stratégie : « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Le bénéficiaire de la promesse pourra donc forcer la vente. Tant mieux ! Même si le texte n’interdit pas aux parties de prévoir dans la promesse une clause en sens contraire...
 
Sur l'exécution des contrats
 
Quoi de neuf, maintenant, s’agissant de l’exécution du contrat ? On relèvera d’abord ce texte, essentiel si l’on peut dire : « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». La loi condense en une phrase la solution que les tribunaux appliquaient pour lors principalement aux clauses limitatives de responsabilité, ces clauses prévoyant qu’en cas de manquement d’une partie à l’une de ses obligations, cette partie ne pourra être condamnée à payer plus que la somme prévue. C’est dire qu’il faudra être vigilant : aucune clause ne peut saper l’économie générale que les parties ont voulu donner à leur accord. En ce sens on précisera d’ailleurs que la réforme promeut une idée d’équilibre contractuel en réputant non écrite toutes les clauses qui, dans un contrat d’adhésion, instaurent un déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171).
 
Le futur article 1195 du code civil introduit ensuite la théorie de l’imprévision dans notre droit. C’est une révolution. Jusqu’à présent, un contrat était une espèce de loi d’airain. Ce qui était dit était dû jusqu'au terme du contrat. Et peu important qu’un changement de circonstances économiques rendît l’exécution de ce contrat excessivement onéreuse pour l’une des parties. Au nom de la morale, la règle produisait des effets désastreux. Ils sont quelque peu conjurés par la réforme. Les contrats conclus à partir du 1er octobre pourront être révisés par le juge dans les conditions suivantes : si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Et en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. Etant précisé qu’à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. 
 
La cessation du contrat
 
Du côté de la cessation du contrat, il faut surtout relever l’intronisation de nouvelles mesures tendant à pallier l’inexécution d’une partie. Primo : désormais, le simple risque d’inexécution suffira à justifier sa propre inexécution. C’est une loi du talion anticipée : tu risques de ne pas t’exécuter, donc je ne m’exécute pas ! Cela peut alimenter le contentieux, c’est vrai. Mais la mesure n’est pas inutile lorsqu’il est évident que son cocontractant n’exécutera pas. A quoi bon attendre davantage pour refuser de s’exécuter soi-même ? Secundo : le manquement d’une partie à ses obligations pourra justifier une réduction du prix. Dans quelles proportions ? C’est au créancier de l’obligation inexécutée qu’il reviendra de le fixer, sous le contrôle postérieur du juge. En tout cas, c’est une nouveauté. 
 
Plus de transparence, plus d’équilibre, plus de souplesse : voilà en somme les trois axes majeurs de cette réforme qu’il faut bien intégrer.
 

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